Je veux incarner l’expressivité, y compris dans un domaine, la thérapie analytique, où le silence a longtemps prévalu. Je serais bien en peine si je devais inciter à l’expression orale, enfermée dans mon propre silence. J’ai rapidement souhaité marquer une rupture avec l’orthodoxie psychanalytique. Nous sommes quelques uns à pratiquer ainsi.
Et si je dois remonter aux sources de ma démarche et de ma méthode, je vous raconterais bien ceci. Il a fallut du temps, de l’énergie et de la volonté pour trouver un chemin hors de ces sentiers battus. Je rajouterai aussi qu’il a fallu de l’argent. Et la thérapie (introspection, recherche analytique, cure –autant d’expressions pour évoquer cette longue phase de quête personnelle de soi) s’est avérée payante. Pendant presque quinze ans, par tranches de trois quatre ans environ entrecoupées de phases de repos psychique, j’ai consulté. Hommes ou femmes, ils m’ont tous, dans un modèle socratique, fait accoucher de mes souvenirs, mes rêves, mes fantasmes et mes besoins fondamentaux. Tous, à leurs façons, ils m’ont amenée à la conscience de mes errances, de mes échecs et de mon potentiel.
Avec chacun d’eux, j’ai expérimenté la libération de la parole, tellement salvatrice. J’ai parlé d’abord en larmes, en flots, puis en saccades, enfin en flux construit. J’ai été écoutée, accompagnée, escortée, reçue, perçue, accueillie, conduite, portée, comprise, acceptée.
J’ai expérimenté aussi le silence. Parfois pesant, souvent confrontant, ce silence thérapeutique, je l’ai remis en question bien des fois, me disant très logiquement qu’avec un peu d’explications, j’aurais été beaucoup plu vite dans la résolution de mes difficultés. Pourtant, je l’ai admis comme un élément clé de l’exercice. En fait, je me suis retrouvée face à moi-même. Pour la fille unique que j’étais, la situation était familière. Seule j’étais, seule je restais, même dans ce cadre. Ma voix emplissait l’espace, mes associations d’idées l’illustraient. Je remplissais l’espace-temps que je m’accordais et j’en jouissais avec délectation. La thérapie n’est pas douloureuse quand on a besoin d’un lieu d’expression. Tout ce qu’on y fait, y trouve, y commet, est libératoire et je sais combien cette réalité m’a accaparée. Je me souviens de mes exaltations au sortir de mes séances où j’avais « trouvé » ! Je comprenais ! Les voiles se levaient un à un, je décodais comme un résistant en temps de guerre, expert du chiffre.
Cette joie du décodage est quasi inracontable : soudain, on comprend, on met des mots sur des situations dont on a pourtant été témoin mais que l’on a inconsciemment banalisées. Là, en position d’observation, en métaposition, on voit tout de haut, de loin. C’est ce qu’on appelle le recul. Et, croyez-moi, les révélations sont fortes. Je racontais des situations standardisées, modélisées par le mode opératoire familial, et, enfin, elles prenaient une autre forme, semblaient motivées par des besoins plus cachés, des bénéfices plus vils. Ces situations familiales, autrefois inexpressives, portaient en elles la clé du mystère relationnel, elles prenaient sens…
Aujourd’hui, je n’hésite cependant pas à remettre en question le sacro-saint silence thérapeutique. À mes yeux et selon mon expérience, sa nécessité me semble parfois abusive. Parfois oui, savoir se taire quand on est thérapeute est nécessaire pour laisser place à la construction lente et organisée de la pensée. Parfois, ce silence permet l’élaboration de la réflexion, parfois le miroir que le thérapeute incarne peut se contenter de renvoyer une image de soi. Mais c’est aussi prendre le risque d’une image sans le son. Or, le « silence » et le « vide » ne s’équivalent. Le « silence » me renvoit plutôt au calme, au repos. Il devient outil thérapeutique. Parfois, en revanche, il est littéralement insupportable, voire inutile, lorsqu’il ne clarifie rien d’autre que la solitude et le dénuement.
Je fais le constat qu’une interaction orale avec mes thérapeutes, savamment dosée, au lieu du mutisme qui m’était renvoyé, m’aurait permis de mieux structurer mon raisonnement, de le rendre fructueux plus rapidement. Que de temps passé à ne rien dire, au prix de 60 à 90 euros la séance de trois quarts d’heure ! Que de factuel, de digressions, de descriptions anecdotiques, de circonvolutions oratoires ! Moi, je me sentais armée pour entendre des vérités plus cinglantes, pour avancer plus vite, pour accéder à un niveau de compréhension plus riche.
Je comprends aujourd’hui ce besoin d’échanges et d’interactivité qu’ont les gens, aujourd’hui, et j’y souscris. Le silence n’a rien d’attrayant d’autant que la démarche thérapeutique engendre un désir d’accompagnement. Car il s’agit bien de s’adresser à une personne choisie pour la qualité de sa vision, de sa stratégie, de sa présence. Et ce mythe qui a longtemps survécu, celui de la présence bienveillante (et suffisante) du thérapeute, il est bien mis à mal par la défiance que le grand public a fini par manifester à son encontre. Aller voir un thérapeute, croit-on, c’est risquer dans prendre pour cinq ans minimum et pourquoi ? Pour parler à quelqu’un qui se contente de « hummmm », « ouiiiiii… », « nous en reparlerons la prochaine fois ». La psychanalyse et la psychothérapie se seraient-elles suicidées dans leur silence ? J’en arrive à le croire, surtout auprès des jeunes dont l’attente de l’autre est colossale. J’ai trouvé davantage bienveillant l’échange que le silence et en ai fait mon crédo.
J’en suis donc arrivée à bâtir une méthode, à la fois interactive et cognitive. Nous réfléchissons ensemble dans le travail analytique. Le métier, tel qu’il m’a été brillamment enseigné, a introduit l’idée d’une écoute active, c’est-à-dire extraordinairement concentrée et potentialisée, dotée de surcroît de questions que l’on dit « puissantes », des questions ouvertes, confrontantes, qui appellent un vrai développement, une réponse circonstanciée. Et aujourd’hui, je le revendique : je veux dire, parler, agir, commenter, réagir et interagir aussi, envisager, proposer, débattre, confronter les idées, pendant les séances que je propose. Je veux être avec l’autre, pleinement, capable de mobiliser toutes mes ressources, la parole étant la première.
Je vous souhaite la bienvenue.