“Oui je suce encore mon pouce !”, Héléna, 39 ans, 4 enfants, fait partie de ces adultes qui s’adonnent à des comportements infantiles qu’ils jugent apaisants. La jeune femme confesse en souriant “ne pas savoir pourquoi elle fait ça hormis par réconfort”. Une chose est sûre, la succion de son pouce est ancrée en elle “depuis toujours”.
La succion du pouce adulte, un rapport fusionnel à la mère
Les comportements infantiles à l’âge adulte, dont la succion du pouce sont des thèmes récurrents en psychanalyse. Les spécialistes ont d’ailleurs tous leurs théories et leurs explications, dont certaines ressortent fréquemment. Véronique Salman analyse ce comportement comme une entrave à l’évolution, à une histoire bien définie due à une présence maternelle persistante et envahissante : “Généralement, les personnes qui sucent encore leur pouce ont été trop maternées et leur rapport à la mère est fusionnel. Ils ne parviennent pas à se détacher car la maman les retient dans ce lien. Les adultes qui sucent leur pouce demeurent dans cette partie infantile car ils répondent à un désir secret de la mère, ils n’ont jamais réussi à transgresser ça, par souci de culpabilité.” Cet attachement à la mère renvoie au concept psychanalytique de la toute-puissance maternelle. La psychanalyste évoque ici ses deux concepts autour de la mère hypercontrôlante, “La reine de la ruche” et “La poupée préférée”, avec un enfant soumis au diktat maternel (cf la conférence TEDx de Véronique Salman sur le sujet). Il s’agit de personnes “souvent des filles, éternellement assujetties au désir de leur mère qui en fait ce qu’elle veut. Ce sont des gens clivés dès le départ, il y a une partie adulte et une partie infantile qui vont cohabiter de manière autonome.”
Sucer son pouce adulte, une forme de jouissance addictive
La succion du pouce à l’âge adulte peut également être perçue comme une forme d’addiction voire de jouissance associée au plaisir sexuel. “Sucer son pouce est un comportement addictif, il faut le voir comme une addiction mais pas n’importe laquelle. C’est une reviviscence du moment où le bébé trouvait sa jouissance par l’unique orifice qui lui était capable de lui faire ressentir ça : la bouche raconte la spécialiste. Quand on est bébé, tout passe par la bouche. Il y a une jouissance à téter, à se nourrir de lait au sein ou au biberon. Après quelques mois après, les bébés mettent tout à la bouche car c’est comme ça qu’ils réussissent à percevoir si c’est dur ou mou, ou comestible” poursuit-elle. Une explication qui renvoie au stade oral de la sexualité infantile freudienne. En effet, selon le psychanalyste autrichien, un enfant au cours de son évolution serait soumis à des pulsions sexuelles qu’il définit par différents stades : stade oral (0 à 18 mois), stade anal (18 mois à 3 ans), stade phallique (3 à 7 ans), période de latence (7 à 8 ans) et stade génital (adolescence).
La symbolique de l’addiction se retrouve également dans la fonctionnalité du pouce : comme une cigarette, on le balade partout avec soi et “à tout moment l’adulte peut y avoir recours” précise Véronique Salman. Et face à un comportement addictif, le manque peut provoquer une irascibilité, d’autant plus que la succion du pouce chez les adultes “n’est pas socialement acceptable et névrotique. Ils sont obligés de se cacher » rapporte la psychanalyste.
Un comportement infantile régressif
Chez l’adulte, la succion du pouce reflète son état d’esprit infantile. Une pratique qui est d’ailleurs régulièrement accompagnée par d’autres attitudes dites “régressives”, attribuées à l’enfance. “Inconsciemment, ces adultes ont tendance à vouloir aller dans un parc d’attraction plutôt qu’au musée. Ils ont également un code vestimentaire propre avec des couleurs criardes, un paquet de bonbons sur leur bureau. Ce sont des gens qui ne peuvent pas s’empêcher d’avoir tous les attributs de l’enfant sous couvert du fait qu’ils trouvent ça rigolo” relate la psychiatre.
Quels sont les risques sur la santé physique ?
Outre la symbolique psychique et inconsciente, la succion du pouce chez les adultes est caractérisée par quelques particularités physiques, visibles au niveau de la dentition. Nathalie Atlan, chirurgienne-dentiste, indique “que la forme des dents chez les personnes concernées a gardé une béance antérieure, les dents ne se rejoignent pas et prennent la forme du pouce. Le palet reste également enfoncé. Ces gens ont aussi gardé une déglutition infantile, il tète encore”. Au-delà du souci esthétique, à long terme, cette pratique risque d’altérer les fonctionnalités de la dentition comme “un écart des dents dû à une déglutition atypique. La succion du pouce répétée provoque aussi des problèmes de tartre et de déchaussement dentaire” prévient la chirurgienne.
Pour les enfants, des solutions ludiques suffisent à freiner voire stopper la succion du pouce, à l’image de gants, l’emploi de distractions, l’encouragement etc. Pour les “grandes personnes” en revanche, la thérapie s’avère recommandée pour déceler les causes d’un tel geste, en s’adressant notamment à l’adulte qui sommeille en eux. La psychanalyste raconte ainsi qu’elle a “pour habitude de décortiquer le symptôme. Ce qui m’intéresse ce n’est pas le pouce mais ce qui a conduit à maintenir ce pouce donc l’addiction. Rien qu’en agissant de cette manière, la personne commence à réfléchir et à prendre conscience de sa régression infantile. Par ce biais, on retrouve l’adulte. Il est important d’aller parler à l’adulte de la personne et non pas le maintenir dans cette partie infantile.”