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Après une dispute ou quand vous n’êtes pas d’accord sur un sujet, votre enfant vous interroge sur une possible séparation ? C’est assez fréquent, mais voici quelques mots à lui répondre, d’après Véronique Salman, psychanalyste et auteur de « La Trilogie inconsciente ».
Les enfants ont le don de poser des questions qui peuvent parfois nous déstabiliser. Soit parce que la réponse nécessite d’avoir une certaine expertise sur le sujet (pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi les nuages ont-ils différentes formes ?) mais aussi parce qu’elle peut nous mettre mal à l’aise ou nous surprendre, comme lorsqu’ils demandent à leurs parents s’ils vont se séparer. Cette interrogation est assez courante, comme le confirme la psychanalyste Véronique Salman. « Mais si l’enfant pose la question, c’est déjà bon signe ! », démarre-t-elle. Pour la spécialiste en effet, si l’enfant se sent suffisamment en confiance pour interroger son parent, c’est qu’il va plutôt bien. « Je pense à tous les enfants qui n’osent pas poser la question, par crainte de l’effondrement qu’ils pourraient provoquer. Ce type d’enfant-là va s’abstenir plutôt que de faire vivre une peine à son parent et à lui-même, pour s’économiser, car il ne saurait pas comment gérer ses émotions », détaille-t-elle.
Elle cherche ainsi à interroger ce qui se cache derrière cette interrogation enfantine. « Cette question parle de l’attachement et du détachement. Un enfant a ses figures d’attachement principales, généralement ses parents. Mais dans son univers, le détachement ou la séparation n’existent pas. Du moins, c’est une nouveauté dans sa conscience, car inconsciemment il s’est déjà séparé du parent : en naissant, il se sépare déjà ; quand il commence à dormir seul ; à la crèche, puis à l’école… », explique-t-elle.
Dans le cas d’une possible séparation de ses parents, on parle alors d’un détachement affectif. Mais Véronique Salman ne croit pas vraiment qu’un enfant ait peur que ses parents se séparent ou qu’il culpabilise, en posant cette question : « L’enfant découvre, car il ne le savait peut-être pas jusque-là, qu’on peut ne plus s’aimer. Sa question fait donc partie de son apprentissage et de son univers exploratoire. Si mes parents peuvent ne plus s’aimer, cela veut-il dire qu’on pourrait ne plus l’aimer à son tour ? Voilà ce qui se cache derrière cette question, finalement très autocentrée », poursuit-elle. Selon elle, l’enfant sait bien qu’il n’y est pour rien, « sauf s’il est très instrumentalisé dans la dispute », concède-t-elle.
Une dispute entre les parents n’est pas la seule origine de ce questionnement de la part d’un enfant. Il peut avoir un copain dont les parents se séparent ou avoir vu des parents se séparer dans une fiction, un livre ou un dessin-animé. Comme son nom l’indique, l’angoisse de séparation chez l’enfant se caractérise avant tout par une peur panique de l’abandon et de la solitude. Cette angoisse se traduit par la crainte d’être délaissé, négligé, quitté ou, pire encore, oublié par ses parents, qui seraient trop occupés à se disputer. Il ressent à ce moment-là un vide affectif qu’il ne parvient pas à rationaliser en raison de son jeune âge.
Que dire à un enfant qui demande si ses parents vont se séparer ?
Chaque situation, même si elle vous met mal à l’aise, doit être l’occasion d’ouvrir le dialogue. Vous pouvez par exemple lui demander d’où lui vient ce questionnement. Pourquoi s’interroge-t-il sur la pérennité de votre couple ? A-t-il surpris une conversation et a mal compris ? A-t-il entendu parler de divorce dans un dessin-animé ? Ensuite, le plus simple est d’être honnête. « Quand on devient parents, il faut d’abord être adulte et ne pas projeter de mauvais réflexes hérités de sa propre histoire. La meilleure chose à faire est de dire les choses simplement », estime notre spécialiste.
Pour répondre concrètement, vous pouvez imaginer quelque chose dans ce genre : « Non, on est très heureux d’être ensemble. Mais peut-être qu’un jour ça arrivera, je n’en sais rien. On a la chance aujourd’hui de pouvoir se séparer quand une situation nous est inconfortable. Toi aussi tu auras ce droit plus tard. Et ajouter : mais c’est vrai, tu as raison, on peut divorcer entre adultes mais on ne peut pas divorcer de son enfant ». Vous pouvez également lui dire que la fin du couple est différente de la fin de la famille.
Comment annoncer à son enfant qu’on se sépare ?
Si jamais la crainte de votre enfant se confirme et que sa question se nourrit d’une réalité, comment lui annoncer la séparation ? La séparation en elle-même n’est pas forcément problématique pour l’enfant lorsqu’elle est expliquée, selon la psychanalyste. Dans le cas où la séparation est en effet probable dans un futur proche, vous pouvez ainsi lui dire : « Nous n’avons pas réussi à rester amoureux. Il faut que tu comprennes qu’il y a des différences dans l’amour. Dans tous les types de relations au monde, il n’y en n’a qu’un qui requiert l’amour inconditionnel : c’est l‘amour du parent à l’enfant. Toi, tu seras aimé quoique tu fasses. Je t’aimerais parce que tu es mon enfant et ce, même si n’aime plus papa/maman. Si tu n’agis pas bien, je te sermonnerai, certes, mais je continuerai de t’aimer », propose Véronique Salman. Vous pouvez également ajouter, pour valoriser votre aîné ou votre enfant unique : « C’est grâce à toi que je suis devenu parent. Tu es très important pour moi ».
Ce qui risque de le perturber, ce sont les disputes autour de cette séparation. C’est bien le couple conjugal qui se sépare mais il faut rappeler à l’enfant qu’on reste son parent toute sa vie. Le risque, c’est donc que l’enfant se sente obligé de choisir. Il se retrouve à nouveau face à un conflit de loyauté qui peut être dévastateur. Cela revient à l’amputer de quelque chose. On touche alors à la question de la perte de l’objet, en l’occurrence, le parent qui partirait du domicile en cas de séparation. « Certains enfants sont immatures émotionnellement assez tardivement et ont du mal à gérer l’absence. Ils éprouvent des difficultés à se rappeler leur figure d’attachement manquante quand elle n’est pas là. Ils sont démunis dans ce cas et vont jusqu’à s’interroger sur le fait que l’autre parent se rappelle son existence : si je suis loin des yeux de mon parent, est-ce qu’il se souvient que j’existe ? », détaille la spécialiste. D’où l’intérêt, comme lors de l’entrée à la crèche ou chez la nounou par exemple, de miser sur l’objet transitionnel. Il va permettre d’aider l’enfant à se rappeler le souvenir du parent. « Il suffit de lui placer une photo de l’autre parent dans sa chambre, un objet qui lui appartient… Tout ce qui peut aider l’enfant à ressentir la permanence de la présence de l’autre parent dans sa vie, comme une continuité ».
Véronique Salman insiste : « chaque moment de vie est un moyen d’apprentissage ». Elle défend l’idée de la pédagogie permanente. En expliquant de façon simple pourquoi vous avez décidé de vous séparer, vous pouvez faire passer des messages à votre enfant, sans pour autant incriminer l’autre parent. Par exemple, vous pouvez lui dire : « Dans le couple, on ne peut aimer que si l’autre me veut du bien et que, moi aussi, je lui veux du bien. L’amour du couple est conditionné à notre capacité à nous rendre aimable. » Ainsi, vous lui apprenez une valeur essentielle : le droit au bonheur. « En effet, dans le cas d’une relation néfaste, en partant, vous apprenez à votre enfant que lui non plus n’est pas obligé de rester s’il fait face à une personne qui ne se rend pas aimable à ses yeux. »
Se disputer devant les enfants, c’est grave ?
Après cet échange avec votre enfant, vous allez peut-être culpabiliser (pour changer) en vous disant que vous auriez dû faire attention et ne pas vous prendre le bec devant lui. Pour commencer, dédramatisez : il peut arriver qu’une dispute éclate au sein de votre couple. Certains échanges vifs peuvent même être pertinents pour les enfants : « Si les parents se disputent sur des sujets politiques, sur un point d’actualité ou toutes conversations qui entraînent à donner son avis et l’argumenter, là, il peut y avoir un intérêt pour l’enfant d’être présent et d’assister à ce type de débat. C’est une animation familiale très importante pour sa construction. », estime Véronique Salman.
En revanche, évidemment, il est préférable de protéger votre enfant en évitant qu’il se trouve confronté à vos soucis de couple. « Lors d’une dispute d’ordre affectif à laquelle assiste un enfant, il y a une meurtrissure pour lui. L’enfant est perméable et sensible à son entourage, donc effectivement, il va comprendre que ses parents ont été blessés l’un par l’autre, donc il va se retrouver à devoir soutenir les deux », explique notre experte. Mais un enfant est aussi extrêmement agile et s’adapte très vite : « Il va offrir à maman ou papa qui a été blessé de l’attention, de la générosité, par exemple en mettant spontanément le couvert ou en remplissant le lave-vaisselle. C’est très touchant. Si l’autre parent a été blessant, voire violent, qu’il s’agisse de violences psychologiques ou physiques, l’enfant va s’adapter et deviendra plus prudent avec lui. » Il est bon de se rappeler que l’enfant dispose de bien des ressources pour aller le mieux possible, en toutes circonstances.
Pour en savoir plus : « Passer de l’éducation à la pédagogie », par Véronique Salman, Webinaire Psy du Samedi du 29 août 2020, disponible en Replay sur www.veronique-salman.com