Magic Maman : Pouvez-vous me parler de la règle des 4 cadeaux, dans son aspect psychologique chez l’enfant ?
Véronique Salman : Si nous parlons bien de cette règle qui consiste à offrir à un enfant, pour Noël, un cadeau qui viendrait de sa liste de vœux, un objet dont il aurait vraiment besoin, une chose à porter et un livre ou un moment à partager avec lui, vous balayez ainsi tout le champ de votre relation avec lui en tant que parent. Une figure d’attachement parentale doit, en effet, savoir ce dont l’enfant rêve, ce dont il ne doit pas manquer, l’introduire aux savoirs et aux expériences. Et, bien sûr, en tant que parent, il vous appartient de l’accompagner dans ses apprentissages, notamment au travers d’une sortie ou d’un livre à partager ensemble. Je crois sincèrement que cette représentation de la figure d’attachement fiable, stable et protectrice du parent, est immensément structurante pour l’enfant.
Mais cette règle des Quatre cadeaux doit avoir du sens pour l’enfant. Elle doit être expliquée au préalable ou au moment de la remise de ces cadeaux. Cela suppose donc que l’enfant ait cessé de croire au Père Noël. La question utilitaire du cadeau impose que le Père Noël n’y soit pas mêlé. Lui, il est réservé aux surprises ludiques. J’aime aussi l’idée que le temps que je consacre au choix des cadeaux à partager, en tant que parent, soit à porter à mon crédit et à ma réflexion sur ma parentalité, l’intérêt que je porte à la transmission des choses qui me paraissent importantes. J’ajoute que sur chaque cadeau, il faut y apporter une matérialité. La sortie que vous projetez de faire avec votre enfant peut être proposée sous forme d’une enveloppe contenant un « bon pour… ». Ce cadeau sera peut-être réalisé à une date ultérieure, il lui faut donc s’inscrire dans l’effervescence du moment de Noël.
Magic Maman : Est-ce que les enfants ont une notion de valeur ? Vers quel âge comprennent-ils cet aspect ?
V. S. : Je suis persuadée qu’à tout âge, un enfant reconnaît la valeur de la sincérité et de l’implication de son parent vis-à-vis de lui. En tous cas, très tôt. Un parent qui signe un chèque d’étrennes ne s’est pas beaucoup creusé la cervelle. Il ne s’est pas investi suffisamment, il n’a apporté aucune réflexion en amont. Il a acheté la paix et son enfant dans le même élan. Ainsi, l’enfant pourrait penser qu’il vaut beaucoup, avec un montant élevé, pour ce parent, et que la relation se résume à cette tractation. La question de l’estime de soi est engagée alors, pour l’enfant, en droit de se demander quel sens donner à un montant important : est-ce parce qu’il compte pour son parent ou, au contraire, insignifiant puisque le parent n’a pas pris soin de penser à un cadeau plus personnel ? De la même manière, pléthore de cadeaux pour un tout-petit serait un acte déraisonnable car trop difficile à aborder, trop anarchique, trop démesuré. Le parent jouerait là au « bon parent », sans discernement. Il aurait besoin de conforter son statut de parent. Trop de cadeaux tue le cadeau.
Magic Maman : Comment faire comprendre à un tout petit que, par exemple, le Père Noël il n’a pas tout ce qu’il a demandé ?
V. S. : Dans l’imaginaire d’un enfant, le parent se fait l’intermédiaire entre l’enfant et le Père Noël. Il a donc accès direct à lui et peut rapporter un message à l’enfant selon lequel ce cadeau spécifique désiré par l’enfant n’est pas disponible chez le Père Noël. Peut-être l’aura-t-il pour son anniversaire… Cela me paraît très intéressant de préparer un enfant à la fin nécessaire de sa Toute-puissance. Il ne peut pas obtenir tout ce qu’il désire. J’y vois là un message pédagogique de la plus haute importance. Ce qui se passe avec un cadeau manquant sera ensuite dupliqué à toute autre situation de frustration. Il est, de plus, intéressant de ne déifier personne : même le Père Noël ne peut pas tout.
Magic Maman : Est-ce que trop gâter son enfant pourrait avoir un côté plus que négatif sur son développement ?
V. S. : Trop gâter son enfant, c’est compromettre sa capacité d’évaluation des comportements à produire en toute circonstance. Cela induit qu’il faudrait en faire beaucoup pour être aimé(e). Il existerait donc une évaluation de la personne en fonction de ce qu’elle produit ! Voilà qui serait navrant. Par ailleurs, manquer de discernement sur le bon dosage des cadeaux se retrouve généralement de manière transverse dans d’autres situations de la vie quotidienne. Ces parents semblent incapables de se frustrer eux-mêmes, ils s’identifient à la masse de cadeaux qu’ils offrent pour se ressentir en tant que bons parents. Mais, ils laissent davantage parler leur propre part infantile, pour qui la frustration est douloureuse. Il s’agit peut-être de réparer une enfance malheureuse et leur enfant servirait alors d’objet de cette réparation. Je ne vois rien de pédagogique dans une telle attitude mais un autocentrage persistant. Pour être parent, il faut d’abord devenir adulte. Et être parent, c’est savoir se décentrer au profit de l’enfant, sans chercher à se voir enfant au travers de lui.
Magic Maman : Est-ce que cette règle peut avoir un côté positif sur la surconsommation et ainsi ancrer des valeurs nouvelles à l’enfant ?
V. S. : Cette règle a été conçue dans ce but ! Faire en sorte que la notion de cadeau soit diversifiée et que Noël représente aussi une opportunité merveilleuse de recevoir ce qui manque. Dans la vie, tout n’a pas à s’inscrire dans le registre du ludique mais aussi de l’important, de l’essentiel, du nécessaire et, parfois même, de l’impérieux. Sortir du ludique et introduire le culturel, le patrimonial, le merveilleux tel que l’adulte se le représente, cela permet de se construire en tant que future grande personne, de se projeter, de s’incarner dans une expérience de référence positive.
Je trouve utile et très important de modifier la vision consumériste du monde car, aujourd’hui, il est difficile d’imaginer si un enfant pourra s’offrir tout ce qu’il veut, plus tard et, d’ailleurs, ce ne serait pas un but à valoriser. C’est un peu le message de Saint-Exupéry qui doit prévaloir : « On ne voit bien qu’avec le coeur. L’essentiel est invisible pour les yeux ». L’essentiel, à Noël, ce sont les manifestations de joie collective lors des rituels, les repas qui sortent de l’ordinaire et, si possible, faits maison, les belles tables et les jolies décorations, le tout avec la participation de l’enfant. Tout cela, par l’effort que cela demande, contribue à construire chez lui un sentiment chaleureux d’appartenance et de légitimité. Un parent impliqué reste le plus beau cadeau pour un enfant. Il s’enrichit ainsi affectivement.
Magic Maman : Quels sont les avantages de donner et de recevoir des cadeaux de manière réfléchie et intentionnelle, selon la psychanalyse ?
V. S. : J’accorde, personnellement, beaucoup d’importance à la réflexion puisque ma pratique est essentiellement centrée sur l’idée que de la réflexion naît la compréhension, dont découle le changement. Je suis très attentive à ce que le pulsionnel de chacun soit contenu par une recherche active du sens à donner à nos actions. Si le parent agit ainsi, il enseigne à l’enfant de se conduire, dans la vie, selon un principe de réalité et non de plaisir. Les deux ne sont pas opposables mais le second est davantage associé à l’impulsivité alors que le premier engage la question de la faisabilité. Essayer de construire, en nos enfants, cette responsabilité d’eux-mêmes face aux réalités du monde contemporain me paraît juste pour leur éviter un sentiment de frustration quasi permanent. Ainsi, cette démonstration peut s’appliquer dans tous les gestes de la vie courante et les cadeaux de Noël peuvent très bien s’inscrire dans cette démarche.
Magic Maman : Comment la règle des 4 cadeaux peut-elle favoriser des relations interpersonnelles plus saines et renforcer les liens familiaux ou amicaux ?
V. S. : Il me paraît clair que cette règle des Quatre cadeaux offre une opportunité grandiose pour l’enfant de se réjouir d’un moment à partager avec son parent qui a construit une histoire dans les cadeaux choisis. A nous, parents, de démontrer que l’utilité d’un présent vaut de l’or. A nous de brandir une philosophie selon laquelle Noël ne reposerait pas uniquement sur la matérialité des cadeaux. A nous d’encadrer le choix des cadeaux, même chez nos proches, davantage destinés à se faire plaisir plutôt qu’à faire plaisir. Tout doit devenir cadeau quand on aime donner de son temps, de sa personne et de son amour. Cela est vrai pour les enfants, les amis, les parents, les voisins, etc.
Propos recueillis par Paul Bertranou, pour le magazine Magic Maman, le 10 octobre 2023. Parution de l’article le 22 novembre 2023.