Si ces dernières années la prévention et l’éducation autour du sujet sont devenues de grandes causes nationales, le nombre d’enfants victimes, lui, ne fait qu’augmenter. Pire encore, il semble que les premiers cas de harcèlement scolaire se déclarent de plus en plus tôt
Le harcèlement se définit comme une violence répétée qui peut prendre une forme verbale, physique, mais aussi psychologique. Malheureusement présent dans toutes les strates de la société, il gangrène également les établissements scolaires. De l’école primaire au lycée, en passant par le collège, tous nos enfants sont concernés par cette problématique. Mais comment ce lieu dédié à l’éducation est-il devenu celui de tous les dangers ? Quelles sont les conséquences d’une telle exposition à la violence ? Comment inverser la tendance ?
Le harcèlement scolaire, une forme de violence trop installée
Les textes de loi sont pourtant clairs : le harcèlement scolaire est inscrit comme un délit dans le code pénal français et les reconnus coupables encourent jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime harcelée. Malgré ces sanctions sévères, le phénomène ne cesse de grandir au sein des établissements. Pourquoi ? Gabriel Féménias, directeur général adjoint de l’association e-Enfance/3018, nous explique : « En réalité, le passage par des périodes de violence est à peu près normal dans le développement des enfants. Ils ont besoin d’extérioriser un ensemble de choses. Ce qui caractérise le développement de l’enfant, c’est son incapacité à réguler ses émotions et il lui faut apprendre petit à petit à le faire dans les cadres qui lui sont proposés : familial, scolaire, etc. Mais pour réguler, on passe aussi par des phases de débordements qui vont se traduire par des épisodes de violence verbale par exemple. »
Y a-t-il plus de manifestations de harcèlement scolaire de nos jours ? Pas forcément. « Les phénomènes sont plus visibles parce qu’on a aussi la faculté de communiquer davantage dessus. C’est également parce qu’on a dépassé cette période où lorsqu’il y avait des problématiques, cela restait dans les établissements scolaires. Aujourd’hui, il y a une libération de la parole, qui pousse la société à partager. Enfin, il y a un phénomène de médiatisation. Il ne se passe plus une seule chose dans le monde sans qu’on le sache dans la seconde. Forcément, ça peut donner l’impression d’une massification. »
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’école représente la première introduction à la vie en communauté, en société. Pour Gabriel Féménias, « le harcèlement scolaire est un phénomène grandissant parce qu’il met en jeu plein d’éléments. Il s’appuie sur un tas de facteurs qui s’exercent à l’école : la recherche d’un statut social qui est vraiment inhérent à l’adolescent, ce besoin de jouer des coudes. C’est parfois en écrasant les autres qu’on arrive à trouver sa place. La faible estime de soi peut aussi conduire à avoir un besoin d’être validé par les autres. Là, on va exclure pour ne pas être exclu. Il y a encore un manque cruel d’éducation, de prévention et d’action auprès des jeunes pour cultiver le vivre ensemble. »
Ces signes qui doivent immédiatement vous alerter
En tant que parents, il est impératif de repérer au plus vite les premiers signes de harcèlement scolaire. Pour Véronique Salman, psychanalyste, « le premier travail des parents, c’est de représenter une figure d’attachement sécure pour leurs enfants, c’est-à-dire être un recours ». Elle poursuit avec des signes à ne pas manquer : « Un enfant qui ne parle plus du tout de l’école, qui en fait une espèce de vie privée, hermétique, ou un enfant soudainement taciturne, qui ne dormirait pas très bien, qui veille tard, doivent alerter. Les changements au niveau alimentaires sont aussi à noter, de même qu’un enfant qui est très fatigué le matin ou qui somatise. Par exemple, l’eczéma, c’est considérable, c’est comme si l’enfant disait : “Regardez comme je souffre, mais je ne peux pas dire que je souffre.” »
Le cyberharcèlement, un facteur aggravant
Selon une enquête de l’Arcep, autorité de régulation des communications électroniques, et de l’Insee réalisée en 2022, en France, plus de 60 % des enfants de 10 ans possèdent déjà un téléphone portable. Cette proportion augmente à 80 % vers 12 ans et coïncide avec l’entrée au collège, période où les parents souhaitent pouvoir joindre leurs enfants plus facilement. Cet accès au smartphone est aussi généralement synonyme d’une première inscription sur les réseaux sociaux. ???
On sait que dans les cas de harcèlement scolaire, ces réseaux sociaux peuvent jouer un rôle amplifiant. Pour Gabriel Féménias, « la problématique du cyberharcèlement est qu’il n’y a pas de limite géographique, de temps ou de nombre de personnes qui peuvent être engagées. C’est non-stop, la personne harcelée s’endort avec des notifications, se réveille avec des messages de haine, des photos, des mises en scène. On peut avoir ce sentiment d’être coincé de toutes parts, d’être enseveli. »
D’où la nécessité de lutter à la fois contre le harcèlement scolaire et contre le cyberharcèlement. Si les deux problématiques sont différentes, elles se complètent : « Ce sont deux leviers similaires, si on arrive à traiter l’un sans l’autre, on n’aura finalement résolu qu’une partie du problème. »
Des conséquences considérables d’un point de vue psychologique
Il est évident que le harcèlement scolaire laisse des traces, mais à quel point ? Véronique Salman nous éclaire : « Pour l’enfant harcelé, les conséquences sont assez classiques : on peut imaginer un sentiment d’immense solitude, une anxiété qui mène à une certitude qu’on ne peut pas avoir recours à l’autre. » En somme, une forme de méfiance envers autrui qui serait à la fois une conséquence et une cause du harcèlement scolaire. Car tous les enfants ne sont pas « harcelables » à la même échelle. « Pour être harcelé, il faut représenter une proie isolée. Dans une cour de récré, une proie isolée, c’est un enfant qui ne pourra pas rapporter, “cafter” comme on dit. Il ne s’en sentira pas capable parce qu’on lui aura quelque part inculqué, via ses parents par exemple, que ce n’est pas la peine de demander. On revient donc à la cause/conséquence d’être incapable de considérer autrui comme un recours possible. »
Une stratégie d’évitement peut ainsi devenir la norme, même une fois arrivé à l’âge adulte. Certains enfants harcelés développent des comportements agressifs en réponse à leur souffrance. Cela peut inclure des comportements de provocation ou de violence, parfois dirigés contre eux-mêmes ou leurs proches. Dans certains cas, les victimes peuvent également reproduire des comportements de harcèlement pour compenser leur sentiment d’impuissance.
Quelles solutions pour faire de l’école un lieu sécurisant ?
Bien que l’on puisse parler d’une hausse du harcèlement scolaire en France (notamment à cause de l’essor du cyberharcèlement), il est important de noter que c’est aussi grâce à une meilleure détection de ces situations que les cas déclarés sont plus nombreux.
Depuis 2017, la mise en place d’une vraie politique de lutte contre ce phénomène a permis de trouver des solutions efficaces à ce qui semble être l’un des maux du siècle. Initié par le gouvernement, le programme pHARe est un plan global de lutte contre le harcèlement scolaire mais aussi contre le cyberharcèlement. Lancé en 2021, il s’est généralisé dès la rentrée 2022 aux écoles et collèges, avant de s’étendre aux lycées à la rentrée 2023. Aujourd’hui, 100 % des établissements scolaires mettent en œuvre ce programme. Celui-ci accompagne les équipes éducatives dans le traitement de situations liées au harcèlement scolaire, et ce, de la détection du comportement harceleur à la résolution de ladite situation.
Ce n’est pas tout ! Des associations comme e-Enfance/3018 s’illustrent aussi, notamment avec un numéro d’urgence gratuit, anonyme et confidentiel : le 3018, qui permet aux victimes de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement ainsi qu’à leurs familles d’effectuer des signalements au référent académique du ministère de l’Éducation nationale. On l’a dit, ces dernières années, le harcèlement scolaire s’est fortement étendu vers les réseaux sociaux. Pour parer la montée du cyberharcèlement, l’association e-Enfance/3018 offre la prise en charge des victimes via une suppression des comptes et contenus préjudiciables des principaux réseaux sociaux, sites et plateformes, et ce, grâce à son statut de « signaleur de confiance ». Cette opération est opérée dans des délais très courts, souvent moins d’une heure.
Si la question est loin d’être résolue, il faut toutefois noter la volonté des politiques, des équipes éducatives mais aussi des parents d’avancer vers des établissements scolaires libérés du harcèlement.
Des chiffres clés sur le harcèlement scolaire
Les principaux types de harcèlement subis par les enfants entre 3 et 11 ans sont verbaux (78 %) et physiques (61 %). Le harcèlement social représente 61 %.
81 % des enfants harcelés en ont parlé d’eux-mêmes à leurs parents ; 4 % des parents d’enfants harcelés ont été prévenus par l’école.
Le dialogue avec l’enfant harceleur est la méthode privilégiée par les parents à 91 %. Ils sont toutefois 86 % à prendre contact avec l’école.
Réactions de l’école : 39 % mettent en place des sanctions et 20 % des mesures de protection. Dans 25 % des cas, l’école ne réagit pas.
Chiffres IDM Families et magicmaman.