Il est un mot qui mériterait d’être réhabilité. Trop facilement associé à l’immobilisme, le concept de l’attentisme s’est dégradé au fil du temps. Il n’est pas bon de s’avouer ainsi. « Je suis trop attentiste », m’a dit récemment l’un de mes patients, Patrick J. Que met-il sur cette notion ? Pourquoi en fait-il tout une histoire ? Pourquoi s’invective-t-il de cet attentisme ? « Je suis trop mou, poursuit-il,je ne fais rien de bien de mes journées ». Patrick confond attentisme et non-désir. Dans la situation actuelle, redonner ses lettres de noblesse à un mot qui signifie « attendre que les événements se dessinent avant de décide…
Résumé des épisodes précédents : nous sommes en pleine pandémie de Covid-19, le confinement est instauré, le télétravail auquel est assigné Patrick le renvoie à une activité professionnelle peu nourrissante et ce, à tous les niveaux. Mal considéré, mal payé, mal traité par sa hiérarchie qui, en cette période, fait une obsession de submerger ses salariés, Patrick vit mal la situation. Même à la maison, même loin de son bureau, il est au bord du burn-out.
Pourtant, il a compris les raisons du confinement, la nécessité des gestes barrière, il coopère avec les événements (voir mon article daté du 17 mars, « COVID»). Patrick trouve bénéfique cette période de rapprochement avec ses enfants, l’organisation solidaire avec son épouse, il participe généreusement aux applaudissements de balcons à 20 heures pour saluer le dévouement du personnel médical. Mais, Patrick n’est pas heureux. Il ne parvient pas à bâtir un autre monde ultérieur. Ni pour la planète, ni pour lui.
Grâce à l’e-thérapie, nous avons pu poursuivre ses séances de psychanalyse, par le biais d’Internet. Nous continuons à travailler sur son droit au bonheur, qu’il soit personnel ou sociétal, présent ou futur. Et, ensemble, nous traversons cette crise sanitaire, témoins forcés d’une déshumanisation des rapports sociaux, désormais hyper-contrôlés.
Patrick se dit « attentiste », comme en situation d’échec global. Comment sortir de cette prison domiciliée ? Quoi faire pour redresser le pays, l’économie, recréer de la richesse ? Ses velléités de réussite et de prospérité se sont éloignées, ses aspirations évaporées du fait d’un quotidien devenu trop routinier. Patrick se sent happé dans un présent étriqué, il s’est adapté à cette étroitesse et voilà que, maintenant, on lui demande de se préparer au déconfinement, d’élargir à nouveau son périmètre. Il panique à l’idée de sortir de chez lui à date fixe. Et s’il avait le choix des modalités ?
Pourrions-nous considérer son attentisme comme plutôt judicieux ! Selon le dictionnaire Larousse, l’attentisme est défini par une pratique politique ou syndicale ou une attitude individuelle qui consisterait à se déterminer suivant les circonstances. Ce qui revient à dire : attendre que les événements s’annoncent pour prendre une décision. C’est digne de l’empirisme que prônait le Siècle des Lumières ! Voilà qui rendrait à Patrick son libre arbitre et qui lui ferait du bien. Les plus hautes instances, Élysée et Matignon, se sont initialement engagées dans cette voie attentiste : elles souhaitaient voir venir pour agir, garder une certaine souplesse du fait, notamment, des variables inconnues auxquelles le Covid-19 nous expose.
Mais comme la population a revendiqué de s’inscrire coûte que coûte dans un semblant de calendrier, il a bien fallu en donner un. De manière totalement arbitraire, l’État a dû renoncer à son attentisme politique, à son empirisme. Le 11 mai 2020 lui est apparu comme assez loin mais pas trop quand même, histoire de ne pas décourager certains. Et voilà qu’à l’approche de cette date fatidique, des voix s’élèvent pour exiger le maintien du confinement des enfants, des maîtresses d’école, des agents des transports publics, etc. par peur légitime d’une nouvelle vague de pandémie. Autrement dit, une grande partie de la vox populi prône davantage d’attentisme. Faudrait savoir !
Comme beaucoup, Patrick n’a pas su construire ses projets sans visibilité, il n’a fait que s’adapter, dans une métamorphose kafkaïenne à se rétrécir physiquement et mentalement. Pour s’en sortir, il sera nécessaire de passer en mode adulte et d’entamer une saine réflexion autour de ce qui appartient à chacun de produire, pour s’apaiser et reprendre confiance en la vie et ses perspectives. L’humain sait s’adapter par essence même ! Le Français, au libre arbitre voltairien et à l’esprit cartésien, s’inscrit naturellement dans ce schéma. Aurions-nous oublié ce qui a fait notre grandeur ?
La question de la responsabilité pleine et entière apportera toujours une certaine fraîcheur dans la réflexion de ceux qui sauront décider ce qui est bien et juste : envoyer ou non les enfants à l’école, poser ou non un droit de retrait, accepter ou non la distanciation sociale, adopter ou non de nouvelles attitudes. Car c’est en continuant à responsabiliser les gens, les enfants, les ados, les experts, les citoyens, les usagers, que le déconfinement se passera bien et qu’il permettra la reprise salvatrice de l’activité économique. C’est en lui faisant confiance que l’humain prendra soin de lui et des autres et que tout se passera bien. Les pays nordiques sont très animés par cet esprit de bienveillance et d’individualité responsable. Les pays asiatiques ont pris l’habitude de vivre avec des précautions. Pourrions-nous apprendre des bonnes pratiques observées ailleurs ou serons-nous constamment inertes, immobiles face au changement, comme des personnes attentistes au sens, cette fois, péjoratif du terme ? A nous de décider quelle acception du mot attentisme nous préférons pour notre avenir.