Un humain devient adulte, au sens psychique du terme, sur la base de trois ingrédients. Ils ne lui sont pas donnés naturellement. Il ne peut s’agir que de sa démarche, son ambition personnelle, de les incorporer. S’il y parvient, s’il réussit à s’approprier ces trois éléments majeurs qui fondent un être humain adulte, il parvient au plus beau des succès. Celui de connaître l’altérité. Car, en ces temps de doutes, de méfiance et de choix sociétaux parfois absurdes, c’est bien la relation saine à l’Autre qui sauvera le monde.

Pour qu’un humain se bâtisse en adulte véritable, il est illusoire de croire que seuls le passage à la majorité, la déclaration d’impôts ou l’obtention du permis de conduire, peuvent l’y mener. Pas même le mariage, les sorties avec les potes et l’arrivée d’un enfant. L’état d’adulte suppose, premièrement, que l’humain se sente en pleine responsabilité de ses actes, à l’égard de lui-même, d’autrui et de la planète. Il est nécessaire, deuxièmement, qu’il se considère libre d’agir, par opposition à l’enfant statutairement entravé. Enfin, que son état d’adulte soit sous-tendu par une conscience éclairée, grâce à une sensibilité aux bonnes pratiques, quel que soit le domaine d’application. Si une démarche intérieure en ce sens ne s’instaure pas en chacun de nous, le projet « adulte » est compromis d’emblée.

Psychiquement, reconnaissons-le, l’être humain peut rester infantile toute sa vie. Ses difficultés face à la frustration, son sentiment persistant de vulnérabilité, ses petites rancœurs narcissiques, le démontrent tous les jours, à la maison comme au bureau. Au passage, notez le nombre de personnes –peut-être vous-même ou dans votre entourage- qui ont besoin de la validation de quelqu’un pour prendre une décision, même futile. Pour rester infantile, il y n’a qu’à rencontrer un homme, une femme ou un manager, qui le rendra possible, inconsciemment bien sûr, par la prise en charge de nos inaptitudes, incompétences, caprices ou croyances limitantes. Nous nous laissons volontairement déposséder, nous vivons sous sa complaisance et nous nous abusons au travers de l’Autre.

Christelle, l’une de mes patientes, a joué un peu trop longtemps avec le syndrome de Peter Pan. Le modèle maternel lui a présenté une image terrifiante de l’adulte, accablé par un sens exacerbé du devoir, une forte propension à l’abnégation, une plainte constante face à l’absence d’une saine altérité au sein du couple parental (voir mon article Se plaindre et assumer, quelle ambiguïté !). Cette maman a, sans le savoir, encouragé sa fille (sa dauphine) à trouver le monde des adultes dangereux, compliqué, voire angoissant. Ainsi, Christelle, une fois mariée, a donc tout fait pour éviter le piège de la démission masculine et fait de son mari celui qui sait, celui qui fait, celui qui pense. Celui qui est indispensable. A lui les soucis, à elle l’insouciance !

Le couple pourrait battre de l’aile si Christelle n’avait pas pris conscience de son désir secret de ne pas grandir. « C’est moche la vie des adultes, dit-elle. Trop de contraintes, trop de stress ! ». Là, elle reproduit bel et bien la mauvaise relation à l’autre, s’inscrivant dans une théorie que je présente dans un livre, La Trilogie inconsciente, la comprendre pour aller mieux, publié dans l’ombre du Coronavirus, en février dernier. Christelle reproduit ce dont elle a souffert, petite, qu’elle a dû normaliser pour le supporter (souffrance, normalisation, reproduction, je vous invite à visionner le montage d’une conférence récente qui introduit cette nouvelle théorie autour des répétitions de vieux schémas). Christelle reproduit une altérité dégradée, faisant de l’Autre un danger potentiel dont il est nécessaire de se prémunir. Pour ma patiente, comme pour tous ceux qu’elle représente, l’altérité positive est devenue l’enjeu majeur de sa psychothérapie. Sans la période de confinement, qui a imposé aux couples de s’illustrer dans leurs névroses pendant deux mois, nous ne l’aurions probablement pas constaté si facilement.

Cette relation négative à l’Autre, Amélie la connaît bien. Je la décris dans mon livre et la suite du passage qui lui est consacré se précise au fur et à mesure de nos séances d’e-thérapie. Amélie vit en couple depuis peu, le Coronavirus l’a rapprochée de son amoureux qui semble enfin lui correspondre : il est gentil, sympa, bienveillant. Et bon amant ! Dans cette promiscuité inédite du confinement, Amélie joue donc les amoureuses, se montrant si avide de câlins qu’elle créé une exigence de fréquence et de performance, au risque d’enclencher chez son partenaire une stratégie d’évitement, culpabilisante pour tous les deux.

Il faut remonter à son enfance pour qu’Amélie comprenne ce qu’elle reproduit inconsciemment après en avoir tant souffert : comme son père, autrefois, elle instaure une dictature du masculin. Ce père qui, en effet, voulait que son unique fils hérite de sa puissance virile et de son autorité. Les quatre filles, évidemment, n’étaient pas concernées. Or, le frère d’Amélie ne parvenait pas à se hisser à cette hauteur, par trop de pression et d’émotivité. Amélie souffrait de son impuissance face à l’injonction paternelle. Alors, depuis, elle cherche un homme puissant, tombant d’ailleurs sur quelques hyper-narcissiques dévastateurs. Un homme puissant et aimable, pour la combler. Là encore, la partie pulsionnelle infantile d’Amélie vient perturber son évolution vers un état adulte de qualité, propre à rendre sa relation heureuse, sur la base du respect de l’Autre.

L’altérité, la relation à l’Autre, nous sauvera donc. Elle est le propre de l’adulte sain, de l’être humain qui sait, en conscience, se libérer des fardeaux de son enfance. Si, certains de mes lecteurs, ne serait-ce qu’une poignée, pouvaient cesser de faire peser le poids de leur histoire sur autrui, je ne serais pas peu fière de ma contribution. Car, en ces temps troublés où se déchaînent quelques individualités autour de leurs nombrils, penser à l’autre et à la planète, nos proches, nos employés, les ethnies ou catégories socio-professionnelles différentes des nôtres, Dame Nature, apporterait un élan décisif à la nouvelle société post-Coronavirus que j’appelle de mes vœux. Une écologie humaniste, en somme à taille humaine, marquée par la confiance, la mise en sécurité, le soin apporté à cet Autre et, par réciprocité, le soin qu’il nous accorde. Le télétravail s’accroîtrait grâce aux avancées technologiques, la consommation cesserait sa frénétique ascension, les gens repartiraient dans les campagnes, recréeraient un lien avec leur environnement, s’offriraient une nouvelle forme de confort, avec suffisamment de place pour vivre, des jardins pour tous, des écoles à rouvrir, des commerces de proximité à rebâtir, toutes sortes d’emplois à revisiter. Remettre de la vie là où il est si bon qu’elle soit ! Les Parisiens l’ont bien compris ce printemps, à vouloir se mettre au vert avant que les portes du confinement se ferment. Voltaire avait donc raison : nous pourrions cultiver notre jardin, le faire ou le faire faire, quelle importance ! Chacun respecterait ses besoins ainsi que ceux des voisins, les circuits courts remplaceraient les modèles productivistes polluants, la permaculture s’imposerait d’elle-même. Les avions, en quelque sorte, ne serviraient que pour aller visiter d’autres régions du monde, dans un esprit de découverte et de solidarité. Oui, l’altérité, au sens large, nous sauvera si nous devenons adultes, c’est-à-dire responsables, libres et conscients.

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